samedi 14 mars 2009

Roger Vercel Auteur comtois ?

Roger Vercel est-il un romancier comtois ? La question peut se poser.
Dans le texte ci-dessous, il répond lui-même à cette question. Oui il est comtois et fier de l’être.
(Dans quelques jours vous retrouverez une notice complète sur ce comtois breton.)




« Je ne suis point, hélas ! aussi jurassien que je désirerais l’être. Et cependant, toute ma première enfance a été bercée par les beaux récits de Franche-Comté, car mon père, extrêmement fier de son pays, s’efforçait de m’en inculquer l’admiration et l’amour.
Cependant, après sa mort, ce ne fut qu’en 1916 que je pus réaliser mon grand désir de lier connaissance avec la région comtoise. Au cours d’une permission, échappé du front de la Somme, j’arrivai à Vercel, puis à Epenousse, par un beau matin de mars qui frottait assez dur les oreilles, puis d’un accueil réchauffant où se déchaînait toute la cordialité familiale, d’un pantagruélique et fin dîner où voisinaient les truites cueillis à la main au fond de leur trou, les charcuteries parfumées aux herbes de montagne, des pains d’épice qui tenaient haute place dans le dessert.
C’est à vingt ans que l’on devrait naître ! Je « renaquis » ce jour-là, et avec une émotion poignante et délicieuse, au milieu d’une famille nouvelle, brusquement découverte. Il y avait ceux qui étaient là, ceux qui étaient morts et qu’on faisait revivre pour moi, ceux qui étaient trop loin ou trop vieux pour être venus et qu’on évoquait, des oncles, des tantes, même des aïeux . J’avais l’impression de me trouver subitement comblé, je sentais que des sympathies qui erraient depuis longtemps sans trouver de but, venaient de converger sur moi, de se préciser, de se fixer. C’est à coup sûr une des émotions les plus douces de ma vie, et je la dois à la Franche-Comté.
Je profitai de ce voyage pour visiter « mes terres » ! je savais vaguement que mon frère et moi avions hérité quelques parcelles de prés, mais je me représentais bien mal ces trente ou quarante minuscules morceaux de terre, disséminés aux quatre coins de la paroisse, et que mon oncle tint à me faire connaître dans le détail. Ce tour du propriétaire fut exténuant, mais je ne me dérobai point, car c’était en même temps une magnifique promenade à travers les sites d’une émouvante beauté, une vision rapide de la vie paysanne que j’aime tant à surprendre. La visite achevée, mon vieil oncle me conjura de lui donner la préférence, si quelquefois je vendais « mes terres ». Je le promis et tins parole : le prix de ces nombreuses propriétés atteignit, je crois 1.200 francs, et, de l’avis général, c’était beaucoup trop payé !
La guerre, la vie m’ont tenu, depuis, éloigné de Vercel, de son joli clocher, de ses vallonnements, des pauvres maisons d’Epenouse, accrochées à un talus de terre. Mais on est toujours moins loin des sources qu’on ne le suppose. Quand je jette un coup d’œil sur mon œuvre, tout entière déroulée sous un nom clair et sonore du pays franc-comtois, je me demande si du Guesclin, les rudes capitaines de Terre-Neuve et du Groënland, si Conan lui-même, si tous mes héros tendus pour la lutte, raidis dans une énergie infrangible, ne sont point, au fond, d’authentiques Jurassiens. La mer, la banquise, la guerre, la vie leur crient comme à nous tous : « Rends-toi ! » Et, tout au long des pages de mes livres, ils ripostent goguenards et farouches, par le vieux refus des Comtois qui ne cèdent qu’à eux-mêmes, et à leur loi : « Nenni, ma foi ! ».

Roger Vercel.

In le Jura Français – Juillet Septembre 1957 N° 75.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire